Mardi 28 juin 2011
Par Stéphane Lhomme
Episode 2
Dimanche 5 juin, dernier jour du congrès d'EELV et date limite pour remettre les parrainages pour être candidat à la Primaire. J'en ai maintenant 340, je me suis fait faxer au palais des congrès les derniers arrivés. Pour conclure le congrès, un Conseil fédéral se tient sous la direction de Philippe Meirieu.
Profitant d'un temps mort, je lui remets mon paquet de formulaires devant des centaines de témoins. Comme ça, impossible de dire que je n'avais pas les parrainages : oui, je suis définitivement devenu parano, mais c'est la faute de Cécile Duflot !
Le verdict tombe : quatre candidats sont finalement qualifiés, Hulot et Joly bien sûr, mais aussi Henri Stoll et moi-même. Henri est un gars incroyable, maire original et très écolo de Kaysersberg (Alsace). En 2004, lors du "Tour de France pour sortir du nucléaire", je l'ai vu de mes propres yeux monter en rappel à un tour médiévale pour y accrocher une banderole antinucléaire, avec son acolyte l'excellent Jacques Muller.
Quatre candidats dans le vent...
La qualification d'Henri est réjouissante sur le fond mais pas sur le plan comptable : en tant que "petits" candidats tentant de perturber le duel annoncé Hulot/Joly, nous allons devoir nous partager les miettes du festin. Qui plus est, Henri fera sûrement plus que moi car il joue dans la catégorie du gars sympa alors que je suis le "méchant" qui attaque l'icône Hulot : si je fais 5% ce sera un miracle !
Mais pas le temps de s'arrêter : dès demain lundi, c'est le premier débat officiel, à Toulouse. Je "descends" donc avec mon collègue Michel Guéritte, grand combattant contre l'enfouissement des déchets radioactifs dans l'Est de la France : il n'était certes pas seul, mais c'est quand même en grande partie grâce à lui que les deux communes qui s'étaient proposées pour l'enfouissement de déchets radioactifs "FAVL" on retiré leur candidature.
Au passage, Michel a récolté 3 mois de prison avec sursis. Respect : je n'ai moi-même écopé que deux mois, pour avoir protesté au TGI de Bordeaux contre l'enfouissement d'une plainte déposée par mon association Tchernoblaye contre la centrale nucléaire du Blayais.
Michel a accepté d'être mon représentant auprès des organisateurs de la primaire - le candidat ne peut se représenter lui-même - et carrément mon "Directeur de campagne", titre honorifique dans la mesure où l'absence totale de moyens fait que nous ne dirigeons rien du tout : nous allons déjà essayer d'être à Toulouse le 6 juin, à Paris le 9 et le 15 à Lille pour les trois "débats" officiels.
Michel Guéritte, mon Directeur de campagne
Coup de chance, mon village de Saint-Macaire se situe entre la Rochelle et Toulouse, nous faisons donc escale à la maison en rentrant du congrès, avant de repartir le lendemain, accompagnés d'un pote de Tchernoblaye, Patrick, grand faucheur d'OGM et antinucléaire depuis toujours.
Sur la route, je déclame à mes deux compagnons ce que j'ai prévu de dire lors de mes dix minutes d'introduction. Ils ne sont pas emballés, mais pas du tout : trop direct, parait-il, en particulier par rapport à Hulot. Je décide de leur faire confiance et je prépare une déclaration avec des sous-entendus plutôt que des affirmations franches. On verra bien.
Nous arrivons sur place avec un peu d'avance. Les journalistes sont déjà là. De toute évidence, ils attendent Hulot, Joly et Duflot, et sûrement pas Henri Stoll ou moi : personne ne s'intéresse à nous. Soudain, les photographes courent puis reviennent à reculons. On devine une vedette derrière la mêlée qui se déplace aveuglément : j'ai juste le temps de m'écarter. J'ai failli finir comme un Romain écrasé par la meute des Gaulois dans un album d'Astérix.
Le débat commence. En fait, il s'agit de monologues successifs, on dirait que tout est fait pour que l'ennui soit total. Je fais ma déclaration, proprement, mais bien terne à mon goût. Je crains que mes camarades n'aient involontairement eu une mauvaise influence.
Henri Stoll joue le rôle du candidat sympa qui fait des blagues comme "J'ai un petit déficit de notoriété par rapport à Nicolas". Ça fait rire mais Henri, très lucide, reconnaîtra s'être en partie "plombé" : il traînera durant toute la campagne l'image du gars rigolo qu'on ne prend pas trop au sérieux.
Henri...golant
Les deux favoris font des prestations correctes, sans plus, et du coup Hulot est considéré comme le perdant du soir : il était supposé écraser tout le monde grâce à son entraînement médiatique de longue date.
A la fin du débat, je n'ai droit à... aucune interview. Voilà ce que c'est de s'édulcorer. Nicolas Hulot me remercie même pour "la bonne tenue du débat". C'est-à-dire pour ne pas avoir parlé du "candidat des multinationales" et ne pas avoir rappelé qu'il était "sponsorisé de longue date par les entreprises les plus pollueuses". Finalement, bien qu'arborant une superbe chemise rouge, j'ai été un peu comme une plante verte.
Le retour en Gironde est morne. Je n'en veux pas à mes compagnons, mais je me jure de mettre les pieds dans le plat lors du second débat, jeudi à Paris. Mais, pas le temps de souffler : je viens juste d'apprendre, par hasard, que je dois fournir une profession de foi de 4 pages pour le lendemain avant minuit : les organisateurs sont tellement focalisés sur leur supposé duel Hulot/Joly qu'ils oublient tout simplement de me donner les informations. Je préfèrerais encore que ce soit de la malveillance, ce serait moins méprisant
Le lendemain matin, par l'intermédiaire d'amis, j'entre en contact avec Julien, un graphiste basé à Paris. Informé de ma situation, il accepte de faire ma profession de foi sur le champs et gracieusement : je n'ai évidemment aucun budget de campagne, et ce n'est pas avec mes maigres assedics
Je produis donc un quatre pages sommairement maquetté, à charge pour Julien de le transformer en un superbe document de campagne ce qu'il fait avec une incroyable maestria. En bas de la première page, quelques critiques sur Hulot, et une caricature signée Cabu le montrant en "candidat sandwich", avec des noms de sponsors - Rhône Poulenc, EDF, etc - partout sur ses vêtements. Vers 3 heures du matin, après avoir finalisé le document, nous l'expédions aux organisateurs.
Le lendemain, ces derniers m'appellent car, parait-il, ma profession de foi ne va pas du tout : elle critique l'icône Nicolas Hulot. Je refuse de la modifier. On me dit que les documents seront donnés à l'imprimerie à midi et que, si je ne la change pas, ma profession de foi ne sera pas envoyée. Je ne me laisse pas impressionner : "Et bien allez-y, censurez-moi. Je ne vous prends pas en traître, et puis vous vous en doutez sûrement : j'informerai la presse".
Midi passe, et pourtant ce n'est pas fini. Cécile Duflot en personne m'informe que le Bureau exécutif statuera le soir même. Entre temps, le rusé Alexis Braud me produit un enregistrement sonore d'une conversation téléphonique avec un responsable de Charlie-Hebdo : Cabu ne donne aucune autorisation de reproduction de ses dessins. Du coup, il existe un superbe prétexte juridique pour recaler ma profession de foi sans avoir l'air de me censurer.
L'image que vous ne verrez
pas sur ma profession de foi
Je me résous donc à enlever la caricature, et je reformule quelques phrases pour "être constructif" et en finir avec cette histoire de profession de foi. Julien, super disponible, réalise plusieurs versions, et nous pensons vraiment que la polémique est terminée.
Mais, poussant leur avantage, les organisateurs m'informent que je dois désormais enlever toute référence à Nicolas Hulot ! Et on me refait le coup de l'heure limite pour envoyer les documents à l'imprimerie ! Je les envoie balader : "Censurez-donc, moi je vais dormir " Je ne suis pas inquiet : je suis sûrs qu'ils n'assumeront pas une censure.
Et effectivement, on m'apprendra que, dans son immense générosité, Nicolas Hulot a accepté que ma profession de foi soit envoyée. Je n'en reviens pas : un des candidats est donc autorisé à valider ou invalider les documents de ses concurrents !
Mais, avec les dirigeants d'EELV, le pire est toujours possible : quelques jours plus tard, avec les 4 professions de foi, les 33 000 électeurs reçoivent une incroyable fiche officielle qui leur explique que je suis un "méchant" candidat, et que Nicolas Hulot a été d'une formidable indulgence et d'une incommensurable générosité : "Nicolas Hulot, malgré les attaques dont il fait l'objet dans la profession de foi de Stéphane Lhomme, a néanmoins donné son accord à sa diffusion".
Le document se termine d'ailleurs par cette formule stupéfiante : "C'est la raison pour laquelle vous trouverez ci-joint la profession de foi de Stéphane Lhomme". C'est inouï : dans un pays dit démocratique, les organisateurs d'un vote, censés être neutres, critiquent auprès des électeurs un des candidats et en encensent un autre. Je ne suis d'ailleurs pas le seul à être lésé : Henri Stoll et Eva Joly peuvent légitimement se plaindre de cette inéquitable valorisation du candidat Hulot.
Mais voilà déjà le débat de Paris qui se profile. Or, j'ai dû produire une profession de foi en une journée, sans parler des tractations et négociations diurnes et nocturnes pour son envoi. En clair, j'arrive au débat "en slip", c'est-à-dire sans aucunement avoir pu préparer les thèmes du jour. Il va donc falloir que j'improvise, alors que Hulot et Joly ont pu potasser les fiches rédigées par leurs équipes respectives
A SUIVRE