Lundi 27 juin 2011

 

Ma primaire verte

Par Stéphane Lhomme

Episode 1

 

Tout commence le dimanche 3 avril 2011. Je suis tranquillement installé devant ma télévision : Cécile Duflot, la secrétaire nationale d'Europe écologie-Les Verts (dites "EELV" pour être branché !) est l'invitée de l'émission politique Dimanche plus.

La journaliste Anne-Sophie Lapix évoque l'hypothèse de plus en plus pressante d'une candidature de Nicolas Hulot. Elle pose alors à la dirigeante verte la question qui va tout déclencher : "Nicolas Hulot n'est pas adhérent d'Europe écologie Les Verts, ça ne pose pas de problème ?" "Pas du tout, répond Cécile Duflot, c'est à nous écologistes de voir qui nous voulons soutenir lors de l'élection présidentielle, ce ne sera pas nécessairement un adhérent".

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Je sursaute immédiatement : ce qui est possible pour Nicolas est forcément possible aussi… pour Stéphane ! En effet, bien que militant antinucléaire de longue date, je n'ai jamais été adhérent des Verts : en tant que porte-parole du Réseau Sortir du nucléaire, je me devais de garder une neutralité parfaite entre les différentes organisations adhérentes, en particulier entre les partis politiques : Les Verts (devenus EELV), la LCR (devenue le NPA), les Alternatifs, etc.

Mais je ne représente plus le Réseau depuis avril 2010, suite à une cabale qui a vu les tenants d'une écologie molle - autant dire "de compromission" - éliminer les militants antinucléaires, dont moi. Du coup, je suis libéré de mes obligations de neutralité. Et, ça tombe bien, j'ai des fourmis dans les jambes : Nicolas Hulot, l'homme de TF1, l'écologiste cathodique sponsorisé de longue date par les entreprises les plus polluantes, prétend être le candidat des écologistes pour l'élection présidentielle de 2012. Inouï, insensé.

D'ailleurs, la rumeur se précise : l'animateur d'Ushuaia va annoncer officiellement sa candidature le 13 avril. Motivé par l'information donnée par Cécile Duflot, à savoir qu'il n'y a pas besoin d'être adhérent d'EELV pour se présenter à la primaire, je me lance le 8 avril.

Je vous épargne l'ensemble de mon communiqué de lancement, mais voici les premiers mots : "Stéphane Lhomme, président de l'Observatoire du nucléaire et ancien porte-parole du Réseau Sortir du nucléaire, a décidé de se présenter à la primaire d'Europe écologie - Les Verts en vue de l'élection présidentielle de 2012. Il s'agit très clairement d'une candidature contre celle de Nicolas Hulot. On objectera que ce n'est pas très constructif mais, parfois, il faut savoir se lever pour dire non."

Une dépêche AFP relaie l'information, titrée « EELV : Stéphane Lhomme, candidat aux primaires "contre Nicolas Hulot" » et donne quelques précisions : « Présentant M. Hulot comme "le candidat des multinationales", M. Lhomme veut, lui, proposer "une écologie offensive contre les multinationales pollueuses et pour une véritable politique sociale" »

Voilà qui a le mérite d'être clair. Pour autant, aucune réaction de l'appareil d'EELV. Par la suite, j'apprendrai que, au départ, personne ne croyait à une vraie candidature. Puis personne ne pensait que j'aurais les 200 parrainages exigés...

Le 13 avril, c'est le lancement de la campagne de Nicolas Hulot. L'opération se passe à Sevran, en banlieue. Des communicants ont certainement estimé que le millionnaire Hulot devait se présenter comme l'ami des pauvres. Il se pose donc en zone déshéritée comme il le faisait auprès d'une tribu amazonienne pour son émission Ushuaia. Résultat décevant pour ses fans : une déclaration d'un étonnant conformisme, derrière l'inévitable pupitre indispensable à tout politicien qui se respecte, sur un triste fond vert terne. Ça démarre fort.

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Le 16 avril, le secrétariat d'EELV consent à prendre acte de mon existence et m'adresse le texte voté début avril par le Conseil fédéral pour encadrer la primaire. On y lit en particulier ceci : "Toute personne volontaire peut être candidat-e à condition de satisfaire aux règles d'éligibilité de l'élection présidentielle, de souscrire au Manifeste pour une société écologique et d'accompagner sa candidature par une liste de soutien d'au moins 200 adhérent-e-s et/ou coopérateurs et coopératrices à jour de cotisation et/ou adhérent-es de Partis associés".

Il n'est donc aucunement demandé aux candidats de se conformer à quelque directive que ce soit concernant le fond des débats. Or, quelques jours plus tard, on m'envoie une "Déclaration d'intention de candidature" qui reprend les éléments précités… mais aussi deux curieux ajouts : "Je m'engage à ce que ni moi ni mon équipe n'attaquent les autres candidat/e/s" et "je m'engage à soutenir et à faire campagne pour la personne qui sera désignée".

Ces mentions, j'en aurai la confirmation plus tard, ont été spécialement ajoutées à mon effet, pour que je claque la porte ou, a minima, pour que je renonce à "attaquer" l'icône Hulot. Ma réponse est claire sur le premier point : je ne porte contre lui aucune "attaque" personnelle, je le conteste politiquement.

Concernant le second point, chacun s'attend à ce que j'annonce mon refus de soutenir Hulot, je retourne donc le piège en déclarant que… je demande à l'animateur de télévision de ne pas me soutenir si je gagne la primaire : ma campagne contre les multinationales ne saurait être soutenue par celui que je taxe justement de "candidat des multinationales".

Qu'à cela ne tienne, les rumeurs courent rapidement : parfois il parait que je refuse de soutenir Hulot, parfois que j'ai été exclu de la primaire ou même que j'ai retiré ma candidature. Autre thématique : je n'aurais cessé de "cracher sur les Verts" ces dernières années. Problème, les accusateurs n'avancent aucun élément, aucune preuve : forcément, tout est inventé. On me fait même suivre un mail du député François de Rugy, à qui je n'ai pourtant jamais eu affaire, et qui s'amuse à relayer ces accusations mensongères. Pas bien brillant pour un député...

Ces malveillances ont un but : m'empêcher d'obtenir les 200 parrainages nécessaires pour concourir. Heureusement, je peux faire passer mes messages par mes nombreux amis du mouvement antinucléaire dont certains sont membres d'EELV ou, au moins, y connaissent du monde. Du coup, je reçois continuellement, par e-mail ou par la poste, des formulaires de parrainages que je dois scanner et archiver soigneusement.

J'y passe des jours et des nuits : j'ai des soutiens partout en France, et même au-delà, mais pas de "secrétaire" à disposition à Saint-Macaire ! Et puis je n'ai jamais fait travailler personne pour moi, je n'ai d'ailleurs jamais été chef de personne de toute ma vie : j'aime encore moins commander qu'être commandé, c'est dire. Résultat, pendant que Nicolas Hulot et Eva Joly préparent les débats, je fais de l'archivage…

Arrive le Congrès d'EELV à La Rochelle. Après le vote des militants dans les régions, le résultat est connu : Cécile Duflot est la grande gagnante, sa motion ayant raflé plus de 50% des voix, celle de Cohn-Bendit plafonnant à 26%. Le Congrès ne présente donc plus aucun suspens, c'est le sacre annoncé de Cécile, et du coup tous les regards se tournent vers la primaire et ses candidats. Et ce d'autant que la date limite pour donner les parrainages est le dimanche 5 juin, dernier jour du Congrès.

Pour ma part, avant de partir pour La Rochelle, j'ai déjà envoyé plus de 200 parrainages au secrétariat, et je continue à en récolter pour avoir de la marge : il y a toujours des invalidations dans ce genre d'affaire. A cette heure, il y a six candidats déclarés, et personne ne sait combien auront les parrainages.

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Le samedi en début d'après midi, c'est l'ouverture officielle du Congrès, le moment le plus suivi par les médias. Je pressens ce qui va se passer : Cécile Duflot va placer à ses côtés Eva Joly et Nicolas Hulot, pour accréditer l'idée qu'il n'y a que deux candidats.

Aussi, avec une bonne demi-heure d'avance, je vais me placer… au premier rang. Rapidement, on vient me voir : ces places sont "réservées". Je réponds tranquillement : "Oui : pour moi !". Commence alors un étranger ballet. On amène des chaises et on construit trois nouveaux rangs devant moi, avec des militants qui s'assoient immédiatement sur chaque nouvelle chaise afin que je ne puisse m'y placer. Je ne suis donc plus qu'au quatrième rang !

A l'heure dite, Cécile Duflot arrive, un militant se lève pour lui céder la place pendant que la reine du jour me nargue du regard. Arrivent ensuite, de la même manière, Eva Joly puis Nicolas Hulot : à chaque fois, un figurant se lève pour céder la place à une vedette. Les photographes se pressent entre la scène et le premier rang, mitraillant les trois "stars".

C'est alors que je vois Philippe Meirieu, attablé sur la scène, attendant de pouvoir ouvrir les débats en tant que Président du Conseil fédéral. Mais il est aussi Président de la commission d'organisation de la primaire. Instinctivement, je bondis sur la scène et je l'interpelle : "Philippe, tu n'as pas le droit de laisser faire ça, il y a six candidats potentiels pour la primaire, il est inacceptable que seuls deux d'entre eux soient mis en avant par Cécile".

Des gros bras s'approchent, on tente de me faire taire. "On verra plus tard" me répond Meirieu. Je suis furieux : "C'est ça, lundi après le congrès !". Je descends et me retrouve entre la scène, les trois personnalités et les journalistes. Parmi eux se trouve la caméra du Petit journal de Canal +, qui va immortaliser la scène.

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Je m'adresse à Cécile Duflot :

"- Il y a six candidats, il est anormal que tu en privilégies deux !

- Les autres ne sont pas là, on ne les a pas trouvés...

- Hé bien moi je suis là, je m'assois avec Hulot et Joly !

- Mets-toi donc là ! me dit-elle en désignant le sol devant elle...

- A tes pieds ? Hors de question, je ne suis pas ton petit chien ! Tu te prends vraiment pour la reine !

 

Du coup, on m'apporte une chaise pour être au premier rang… mais en prenant soin de caser Dominique Voynet entre les trois vedettes et moi. Du coup, je suis là… sans y être : comme le montre bien le reportage de Canal+, je ne serai finalement sur aucune photo publiée dans la presse.

Les photographes nous ont bel et bien mitraillés, mais la présence voulue de Voynet a fait son effet. Je me suis pourtant tourné vers les objectifs, si bien que l'ancienne ministre, agacée, me tance "Hé, Stéphane, tu me colles". Entendant cela, Cécile Duflot se tourne vers nous et me lance cette stupéfiante menace : "Ha, je peux t'exclure de la primaire, tu viens d'agresser Dominique Voynet."

Bigre, me voilà menacé de devenir le "DSK écolo" ! Mais l'accusation est à la fois si grave et si absurde que Dominique Voynet, bien que jouant clairement son rôle pour m'écarter des "stars", a l'honnêteté de rectifier : "Non non, il ne m'agresse pas, ce n'est pas vrai". "Ha bon" bougonne Cécile Duflot, visiblement déçue en se tournant à nouveau vers les photographes. J'ai eu chaud !

 

A SUIVRE...


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